(Article) Histoire des formes de pouvoir et de contrôle dans les espaces ruraux

Publié le par Stéphane Guillard

Le maraîchage à Saint-Pierre-des-Corps (Indre-et-Loire) dans les années 1920

Le maraîchage à Saint-Pierre-des-Corps (Indre-et-Loire) dans les années 1920

Tout au long du XIXème siècle, en Europe et surtout en France, les mondes ruraux et agricoles ont une place indéniable dans la société. En terme de démographie, d'économie ou de représentation sociale, la campagne influence les destinées des pays européens. Bien que de plus en plus tournées vers le monde de l'industrie et de l'urbain, les sociétés européennes du XIXème siècle conservent des traditions originaires du monde rural et bien plus encore. La politique ne demeure pas insensible à ces influences et, au lieu d'ignorer ces sociétés rurales, on cherche plutôt à s'attirer leur bienveillance voire même à les guider

Quels systèmes de pouvoir met-on en place dans les campagnes ? Comment la politique s'immisce-t-elle dans les sociétés rurales du XIXème siècle ?

Villefranche-sur-Saône - Place Claude Bernard (le marché aux chevaux)

Villefranche-sur-Saône - Place Claude Bernard (le marché aux chevaux)

Contrôler indirectement

Au XIXème siècle, les mondes ruraux européens, et français en particulier, sont relativement isolés de l'ensemble de la société urbaine et des bouleversements modernisateurs qui s'y jouent. En contact permanent avec les villes pour les échanges économiques et de fréquents exodes ruraux, les sociétés des campagnes françaises conservent une relative autonomie. Ces communautés rurales n'en demeurent pas pour autant des isolats. Il s'agit d'un univers relié au monde englobant de la ville par des systèmes de pouvoir et de contrôle social.

S'il n'existe pas de Ministère de l'Agriculture à proprement parler avant une décision de Gambetta en 1881, des formes d'organisation étatiques indirectes sont en place dès le début du XIXème siècle. La politique rurale n'est ni définie avec précision ni avec un soucis de globalité. Pourtant, si la pensée de l'Etat n'est pas spatialisée, les sociétés rurales sont sous le contrôle de forces et de dirigeants extérieurs, ou du moins pas clairement identifiés. Il faut comprendre que pendant la première moitié du XIXème siècle, la puissance publique ne possède pas les moyens d'un contrôle réel sur les espaces ruraux. A cause de l'instabilité politique, du manque de moyens financiers, du manque d'agents publics et du manque de connaissance des mondes ruraux, le pouvoir de l'Etat et le contrôle se font de manière indirecte. Cette logique de gouvernement indirect des espaces ruraux s'observe en France, mais également dans l'ensemble de l'Europe.

Léon Gambetta, président du Conseil en 1881

Léon Gambetta, président du Conseil en 1881

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Le rôle des notables ruraux

Pour exercer son influence et imposer sa puissance, la force publique s'appuie sur les élites anciennes de la terre. Ce sont ces fameux notables ruraux dont les compétences, si elles sont indéniables dans la plupart des cas, se manifestent souvent au détriment de l'intérêt général campagnard. Exerçant des fonctions d'élus, de juristes en tous genres, d'industriels éloignés des campagnes une partie de l'année ou simplement de rentiers du sol, les notables des campagnes françaises servent l'ordre politique en place et favorisent le contrôle des espaces ruraux. Ils transmettent les valeurs de la République, perpétuent les traditions ancestrales, mettent en place des communautés rurales organisées et hiérarchisées...Leur rôle est complexe puisqu'il s'attache à la fois à la modernisation des sociétés rurales et à une certaine forme de conservatisme qui sert leurs intérêts.

A partir de la moitié du XIXème siècle, une certaine transition s'opère chez les élites rurales. L'aristocratie campagnarde, au sens propre comme figuré, qu'elle soit ancienne ou nouvelle, se réinvente et assoit définitivement sa fonction de médiation entre la force politique et les masses paysannes. Le rôle des notables ruraux prend toujours plus d'importance et se retrouve sur le plan politique, économique, social, religieux, psychologique...

Dès lors, les sociétés rurales françaises se développent par rapport à la présence quasi systématique de ces élites. Malgré cette influence persistante, les historiens et les sociétés contemporaines du XIXème siècle définissent l'existence des communautés rurales selon deux modes de fonctionnement. Il existe, d'un côté, des sociétés rurales relativement égalitaires où la présence des notables demeure presque nulle, comme par exemple dans les Cévennes. De l'autre côté, une myriade de communautés rurales s'organisent selon une hiérarchie bien établie où les notables jouent un rôle imposant. Dans ces sociétés rurales hiérarchisées, on en trouve où la construction pyramidale inégalitaire est acceptée et d'autres où elle est rejetée et contestée. Ces dernières se trouvent généralement où le prolétariat rural est important, où le système foncier oppose grands propriétaires et métayers et où la mémoire de la Révolution française joue un rôle prépondérant.

Gravure du XIXème siècle. Nomination d'un nouveau curé à Bouliac (Gironde). La population offre une grande fête au nouveau venu.

Gravure du XIXème siècle. Nomination d'un nouveau curé à Bouliac (Gironde). La population offre une grande fête au nouveau venu.

L'influence de l'Eglise

En 1789, la Révolution française amène des transformations profondes et radicales en matière de société et notamment de religion. Malgré la fin de privilèges ecclésiastiques, force est de constater que le rôle de l'Eglise catholique au XIXème siècle demeure toujours majeur pour les populations et les sociétés rurales. La Révolution a marqué le début d'une déstabilisation de la hiérarchie catholique et de son réseau paroissial rural mais pour autant, la religion est encore un facteur important de contrôle institutionnel des campagnes. Toutefois, une fracture interne entre les prêtres jureurs et les prêtres réfractaires qui ont préféré obéir à Rome plutôt qu'à Paris a marqué le début d'un changement sensible dans les rapports entre sociétés rurales et religion.

A partir de la Restauration et jusqu'en 1880, l'appareil d'Etat est conscient de sa propre faiblesse en matière de contrôle social des campagnes françaises. Le pouvoir est obsédé par la crainte d'une révolution et l'effondrement du modèle social mis en place. Pour cette raison, et pour de nombreuses autres, l'Etat compte grandement sur la force ecclésiastique dans l'apaisement des populations prolétariennes des campagnes, dans le contrôle du monde rural...La France aide l'Eglise à reconstituer son réseau paroissial dans le moule de la carte des communes qui avait mis fin au pouvoir de la religion sur l'état civil, le découpage géographique...Ce mouvement de reprise en main de la France rurale par le clergé s'accompagne d'un profond renouvellement du clergé lui-même et également d'un renouvellement des modalités de son emprise sur la société.

Si la ruralité est assimilée à l'Eglise, un changement s'est opéré avec la Révolution sur le plan sociologique dans les pratiques religieuses, les mœurs mêmes du clergé. Cette discontinuité se retrouve dans la manière plus distendue dont sont contrôlées les mentalités des individus. Le clergé développe une double stratégie : s'appuyer sur les femmes et contrôler la sphère privée plutôt que l'espace public. La religiosité des mondes ruraux se développe d'une manière collective dans la mesure où elle se calque dorénavant sur le calendrier agraire et où elle prend aussi la forme de festivités collectives et englobantes.

La France rurale du XIXème siècle demeure un monde complexe sur de nombreux plans. Mondes en transition, les campagnes françaises se trouvent à cette période dans une situation de fort décalage entre ses propres réalités et ses représentations. Si on peut y voir les traits en apparence de sociétés paysannes dominées, il ne faut pas outre-mesure caricaturer cette vision. L'individu rural demeure un être conscient, engagé et affirmé dont la soumission n'est pas totale.

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