(Article) Introduction à l'histoire de l'écologie agricole : réflexion philosophique

Publié le par Stéphane Guillard

(Article) Introduction à l'histoire de l'écologie agricole : réflexion philosophique
Après la destruction en 2010 des plants de vigne OGM expérimentaux de l'INRA en Alsace, un nouvel épisode des rapports entre science et agriculture s'est ouvert. Entre modernisation de l'agriculture et rapports environnementaux complexes, la science en agriculture est un objet de polémique tant historique que contemporain.

Science, environnement et agriculture : une histoire mouvementée

L’histoire de la recherche agronomique, de l’expérimentation agricole et des rationalisations de la production agricole en tous genres est ancienne et très mouvementée.

Dès le XVIIIe siècle et les théories physiocrates, l’innovation en agriculture est perçue de façon néfaste. Sous l’impulsion de Quesnay, les physiocrates considèrent que l’agriculture et la terre sont les seules sources de richesse et que, par conséquent, il faut recourir à son amélioration par divers moyens novateurs. Ainsi, ils préconisent par exemple l’abolition de la jachère, leur remplacement par des cultures fourragères ou encore, la sélection des espèces. Ce nouveau modèle d’économie agricole vivement combattu à ces débuts devint pourtant une influence majeure des Constituants de 1789.

Au XIXe siècle, les débats et les problèmes sont encore plus conséquents. La crise du phylloxéra qui touche la viticulture européenne dès 1860 va opposer diverses factions. D’un côté, le groupe des «sulfuristes» partisans de l’injection dans les vignes de sulfure de carbone pour étouffer le puceron. De l’autre, les «greffeurs américanistes» qui revendiquent la nécessité de greffer des cépages de pieds indigènes sur des racines américaines résistantes à la maladie importée d’outre-Atlantique. Ces derniers seront les grands vainqueurs de la lutte intestine qui se joua entre scientifiques, industriels, politiques et agrariens confondus.

Les exemples pourraient être multipliés mais le précédent suffit à cristalliser toutes les préoccupations actuelles de la part jouée par la science dans l’agriculture. Le phylloxéra, objet des maux de la viticulture européenne au XIXe siècle contenait en lui la solution même de son éradication. Introduit en France en même temps que des pieds de vigne américains censés résister à l’oïdium, le phylloxéra se répandit rapidement du fait du manque de prudence et de précaution des «expérimentateurs» de l’époque, principalement des grands propriétaires fonciers.

Le rôle de la science dans l'agriculture

Aujourd’hui grandement décriée pour ses méfaits et ses nuisances causés à l’agriculture, la science joue pourtant un rôle majeur dans le développement de l’agriculture, tant du point de vue technique qu’économique. L’influence et les apports scientifiques des agronomes, physiologistes, chimistes et autres vétérinaires sont nombreux et ne peuvent être dissociés des évolutions spectaculaires de l’agriculture occidentale depuis plus d’un siècle.

Outre la sélection animale et végétale fondamentale, le développement de races animales et de diverses variétés végétales par croisement a permis de maintenir certains anciens types d’agricultures culturellement implantés dans une région donnée. La science agronomique a également favorisé l’augmentation des rendements, permis l'introduction de certaines variétés ou races dans des régions où les conditions climatiques, agraires et sociales ne les destinaient pas à s'implanter. L'agronomie et la science ont également favorisé et accéléré la «spéculation agricole», qui a tantôt permis un enrichissement des paysans par l'agriculture, tantôt fait le jeu du libéralisme économique.

En France, par exemple, le développement de la recherche agronomique et le rôle de l’INRA (Institut national de la recherche agronomique) dès 1946 contribuèrent à faire de l’agriculture le fleuron de l’économie nationale. Organisme public de recherche, l’INRA fût le garant d’une éthique agricole et permis par ses nombreuses créations variétales, notamment pour les céréales, de développer l’économie agricole dans certaines régions où demeurait encore largement la polyculture vivrière de subsistance. Rappelons simplement, pour exemple, quelques unes des créations les plus connues de l’INRA telles que la «fraise Gariguette» ou la «pomme de terre BF 15».

Les réticences des défenseurs de l’environnement et de la gastronomie peuvent toutefois revendiquer certains griefs justifiés de méfiance à l’égard de l’expérimentation agricole. Les risques et les conséquences de certaines actions scientifiques ne sont pas toujours connus et les nombreux scandales alimentaires des dernières décennies relatifs à des pratiques agricoles douteuses semblent leur donner raison. La précaution et la prudence paraissent donc devoir être de mise.

Faut-il malgré tout refuser le progrès scientifique au nom d’une idéologie dirigée par certains syndicats agricoles plus proches du combat politique que de l’action syndicale pure?

La réponse n’est évidemment pas simple et fait appel à certains principes personnels souvent éloignés des réalités agricoles, économiques et sociales, tant du côté des «expérimentateurs privés» que des syndicats qui choisissent le saccage de certains champs. Une fois encore l’histoire, et celle de la science agricole en particulier, vient nous éclairer sur la question.

Les arguments des syndicats réclamant un principe de précaution sont tout à fait recevables lorsqu’ils se cantonnent à de telles revendications. Cependant, lorsque l’idéologie prend le pas sur la raison et conduit à une vision quasiment «obscurantiste» de certains problèmes posés à l’agriculture, il convient de dénoncer de telles pratiques proches d’une forme de «néo-agrarisme». Le poids grandissant de l’écologie politique n’est pas étranger à ce phénomène et ne doit pas masquer qu’au nom de la défense des consommateurs ou du monde agricole et rural, de nombreuses actions sont purement et simplement illégales.

De l’autre côté, l’action scientifique et expérimentale doit être contrôlée, réglementée et orientée selon des plans bien définis. Admettre un certain principe de précaution et établir des «chartes éthiques» pour les expérimentations polémiques sont des engagements que devraient plus largement et plus généralement prendre certains établissements privés de recherche en agriculture. Ces derniers souvent peu nombreux en France et exerçant une sorte de monopole de la recherche et de la commercialisation des nouveautés sont renforcés par les actions de saccage des expérimentations publiques, garantes de l’éthique.

Si l’introduction de la science en agriculture n’est pas un phénomène nouveau, il convient de la contrôler et de la limiter, dans certains cas, à la simple expérimentation. L’histoire de la science agronomique ne nous a-t-elle pas enseignée qu’il valait mieux anticiper les crises agricoles majeures plutôt que les subir...




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