(Article) Histoire de l'écologie agricole : le rôle de la recherche agronomique au XIXème siècle

Publié le par Stéphane Guillard

(Article) Histoire de l'écologie agricole : le rôle de la recherche agronomique au XIXème siècle
Auguste Comte écrivait qu'on ne connaît pas complètement une science tant qu'on n'en connaît pas l'histoire. La connaissance historique, au-delà du simple travail de mémoire, a ce rôle de faire réfléchir sur la portée générale de certaines tendances contemporaines, parfois déjà observées dans le passé. S'intéresser aux rapports complexes entre agriculture, écologie et recherche agronomique pose donc comme principe de comprendre comment les trois ont évolué parallèlement depuis près de deux-cent ans.

Comprendre la manière dont s'est structurée et organisée la recherche agronomique française aide à cerner les enjeux contemporains et à mieux réfléchir sur ses orientations futures. Éviter d'incriminer ou d'encenser la recherche agronomique ne doit pas être une posture pré-établie mais le fruit d'une compréhension historique de son développement.

Qu'est-ce que l'agronomie et la recherche agronomique ?

La recherche agronomique et la science agricole dans une plus large mesure ont largement contribué aux progrès de l'agriculture et à des évolutions et des pratiques contemporaines, aujourd'hui partiellement remises en question. Pour comprendre le rôle de cette recherche agronomique, il faut bien avoir à l'esprit qu'elle est au croisement de divers champs d'études : l'économie, l'agriculture, la science, la politique...

Le Petit Robert nous propose la définition suivante du terme « agronomie » : étude scientifique des problèmes (physiques, chimiques, biologiques) que pose la pratique de l'agriculture ». Si cette définition pose d'emblée les bases de l'agronomie, elle ne peut toutefois nous satisfaire entièrement car elle oublie les principaux acteurs que sont les agriculteurs et les paysans. L'agronomie prend donc également en compte toutes les questions économiques et sociales liées aux activités agricoles. Elle est la « science de l'agriculture ayant pour objet :

  • l’étude des sols, des climats et des plantes en vue des cultures et des élevages éventuels ;

  • l’étude des plantes cultivées et des animaux domestiques sauf la médecine vétérinaire ;

  • l’étude des conditions économiques et sociales de la production agricole.

De l’observation et de l’expérimentation, cette science dégage des lois et des théories qui sont mises en application pratique dans des champs d’expérience, puis, s’il y a succès, dans les exploitations agricoles »1.

L'agronomie est également l'ensemble des connaissances s'intéressant à la mise en valeur , à l'exploitation et à la conservation du monde rural. Elle comprend l'introduction de systèmes rationnels, de techniques modernes et de méthodes scientifiques en agriculture afin d'en faire une pratique dépourvue au maximum d'empirisme.

D'emblée, on comprend que l'agronomie et la recherche scientifique agricole sont indissociables de certaines notions telles que l'écologie, l'évolution des pratiques agricoles, le respect de certaines théories économiques et sociales...Si l'agronomie se veut le rassemblement de toutes les connaissances et disciplines scientifiques concourant à la mise en valeur, à la rationalisation économique et sociale, ainsi qu'à l'optimisation des techniques agricoles et rurales, elle se propose également d'en conserver les spécificités culturelles, sociales, économiques ou environnementales.

Pratiques agricoles et évolution des paysages au XIXème siècle

Au XIXème siècle, l'agriculture française n'est encore qu'à un stade de balbutiement de son histoire. Si la Révolution française a partiellement libéré certaines terres agricoles, elle n'a pas totalement anéanti certains rapports ancestraux concernant la propriété foncière ou l'utilisation des sols par exemple.

Nouveaux maîtres des campagnes, les notables en tous genres mettent en œuvre l'étendue de leurs connaissances pour développer et réorienter la destinée des mondes ruraux français. Ces nouveaux grands propriétaires fonciers lisent beaucoup et de tout, afin de mettre en culture de façon la plus rationnelle possible leurs exploitations agricoles et leurs terres. Traités d'économie, manuels scientifiques, ouvrages sociaux...sont autant de sources d'inspirations pour mettre sur pieds une agriculture intelligente, productive, rentable et organisée.

Au XIXème siècle, de grands travaux de défrichements sont également mis en œuvre à travers l'ensemble du territoire français. Sous l'impulsion des grands propriétaires terriens mais aussi grâce à la force de travail de leurs employés agricoles, le visage des campagnes françaises évolue. D'abord peu soucieux de l'utilité et de l'importance de certains espaces boisés, les grands propriétaires terriens font arracher d'immenses étendues pour faire pratiquer l'agriculture. Quand les aléas climatiques, les problèmes de diversité biologique ou de nouveaux avantages fiscaux sur le bois apparaissent, ils se mettent à reboiser. Bien souvent, il est trop tard car cela est fait sur de faibles étendues et les effets de l'agriculture ont pris racine profondément. Une première forme de spécialisation agricole, ou du moins la généralisation de l'utilité agricole d'un bien foncier est mise en marche à ce moment-là.

Les propriétaires, mais également les petits cultivateurs soucieux d'élever leurs conditions, voient généralement la terre comme un bien à mettre systématiquement en valeur. Tout espace non utilisé par l'agriculture ce sont des rentrées d'argent ou de la nourriture en moins. Le propriétaire foncier demeure également dans une autre logique financière dans la mesure où il commence, au XIXème siècle, de façon plus généralisée à spéculer sur la terre agricole.

Ainsi, les besoins agricoles plus nombreux, l'essor de certains produits tels que le vin, la spéculation foncière de masse...ont conduit à une évolution radicale des paysages ruraux au XIXème siècle. Les préoccupations écologiques n'étant alors évoquées qu'en cas de fléaux, on ne se souciait que très peu des conséquences sur la diversité biologique, la fertilité des sols ou l'utilité sociale et environnementale de certaines cultures.

Les questions liées à l'agronomie et à l'écologie étaient principalement des considérations économiques ou purement techniques. On se demandait alors s'il était plus rentable de cultiver du blé ou de la vigne dans telle terre.

Le développement de l'agronomie et de la recherche au XIXème siècle

Au XIXème siècle, il n'existe pas en France de recherche agronomique organisée, structurée et centralisée. Les expériences, laboratoires et centres d'expérimentations sont bien souvent le fait de scientifiques isolés, de passionnés ou de riches propriétaires fonciers.

A cette période, le poids de la science dans la société occidentale européenne est en constante évolution sous des formes très diverses. L’apparition de disciplines nouvelles, l’application des phénomènes scientifiques aux domaines économiques tels que l’agriculture ou l’industrie, ainsi que la nécessité de faciliter les échanges ou encore d’intensifier les productions ont laissé la place à l’introduction des sciences dans la société.

La France de l’époque, encore majoritairement rurale, est un pays fortement marqué par la petite propriété, le métayage, le fermage, le salariat agricole et toutes formes d’une polyculture familiale vivrière dont les canons ne sont pas réellement ceux de la production intensive.

La France est alors un des modèles européens en matière de recherche agricole avec par exemple la fondation en 1836 par Boussingault de ce que l’on considère aujourd’hui comme la première station agronomique : la ferme expérimentale de Pechelbronn (Bas-Rhin). Si la prééminence française ne dure qu’un temps avant de s’expatrier outre-Rhin, la science agricole française se porte relativement bien avec nombre de « chimistes-agronomes »2 dont les travaux portent essentiellement sur des questions d’agronomie et d’étude des sols.

Ce même Boussingault symbolise alors « la prise de pouvoir par les chimistes du domaine de la recherche agronomique au détriment des praticiens de l’agriculture »3 que pouvaient être des personnages tels que Dombasle ou de Gasparin, par exemple. Cependant, la recherche agronomique est encore balbutiante et, les structures et les organisations font cruellement défaut à une science qui se veut rationnelle mais dont les institutions et les modes opératoires de recherche suivent péniblement. Là encore, Boussingault fait figure de précurseur avec la mise en place de « programmes de recherche » mais il demeure un cas isolé et unique. S’il convient de ne pas tomber facilement dans la mythification du personnage, force est de constater que ce chimiste français a posé les bases et les fondements de la chimie agricole moderne et de la recherche agronomique.

Cette introduction et cette reconnaissance des chimistes dans le domaine agricole amorcées dès les années 1820 en France se manifestent bientôt par un accaparement des organes de publications scientifiques faisant légion. Les Annales de Grignon sont supplantées dans les années 1840-1850 par les Annales de Chimie et de Physique et par les Comptes-rendus hebdomadaires de l’Académie des sciences. Ainsi, sous les traits d’une apparente structuration rationnelle de la chimie agricole au détriment d’une science agricole plus empirique, il convient de préciser que cet effort est souvent désordonné et isolé. Il n’existe pas de plan d’ensemble pour organiser et structurer les institutions de recherches et d’enseignements agricoles.

« Premièrement, on constate un manque de volonté de la part du pouvoir politique pour créer des lieux de recherche dans le domaine agricole »4. Avec la création de l’Institut national agronomique à Versailles le 30 octobre 1848, une conception nouvelle de l’enseignement agricole, visant à toucher toutes les couches de la population rurale, est mise en place mais le coup d’État du 2 décembre 1851 vient rapidement mettre un terme à l’ambitieuse politique de la Deuxième République. La vision de Louis Napoléon Bonaparte est radicalement différente et mise sur la prospérité de l’économie libérale dans son ensemble pour drainer, dans son sillage, les transformations techniques indispensables. Mais, comme le rappelle Nathalie Jas dans son ouvrage précédemment cité, « l’inexistence d’une dynamique institutionnelle en France au cours des années 1850-1860 ne peut être attribuée à la seule absence de volonté politique. En effet, contrairement aux chimistes agricoles allemands de la même époque, les chimistes-agronomes français n’ont pas de revendications institutionnelles »5. Nathalie Jas explique cela par le renversement qui s’est opéré entre l’alchimie et la chimie lors du passage du XVIIIème au XIXème siècle. Le chimiste devient un homme de savoir respecté dont les compétences ne sont plus mises en cause et s’intéressant volontiers à la société qui l’entoure en cumulant des responsabilités scientifiques, des fonctions politiques et industrielles. Les chimistes obtiennent, par leur propre volonté, la création d’une multitude de chaires de chimie pouvant fournir un nombre de postes relativement suffisant, ce qui peut en partie expliquer les tardives revendications d’une institution de recherches liées aux problèmes agricoles.

A partir de la fin des années 1860, l’affirmation d’une véritable école d’agronomes menée par Louis-Nicolas Grandeau met fin à la relative stabilité académique des chimistes agricoles. La science agricole s’affirme comme une science à part entière et lorsque ce même Grandeau fonde à Nancy en 1867 la station agronomique de l’Est, qu’il présente lui-même comme étant le premier modèle français des stations expérimentales agricoles allemandes, une ère nouvelle s’ouvre sur l’agronomie française. Cette période manifestée par la création de cette station agronomique est celle de l’ambition de la science et de l’agriculture française dans leur ensemble. Un an plus tard, la station est prête à fonctionner et dans son sillage, on organise le fonctionnement des stations agronomiques départementales. « Ce sont des établissements consacrés aux analyses chimiques sur les végétaux, les terres, les eaux, les engrais, ainsi qu’aux expériences de physiologie végétale ou de zoologie et de zootechnie. Ils comprennent un laboratoire de chimie, une « chambre d’expériences dite de physiologie végétale », des serres, un champ d’essai et un amphithéâtre pour un cours public. Les stations sont fondées par les départements avec le concours de l’administration qui accorde, pour cet objet, une subvention représentant la moitié des dépenses de cette création, ainsi qu’une allocation annuelle destinée à rémunérer le professeur chargé du cours public et à couvrir les frais généraux de l’établissement »6. Il s’agit bien là de la première tentative d’organisation par le pouvoir politique d’une forme de recherche agronomique. Si l’effort est louable, les énergies et les forces sont encore trop largement disséminées et sans coordination pour aboutir à des résultats très satisfaisants. Bon nombre de ces stations agronomiques finiront par devenir de simples stations d’analyses, rôle qui se développera par la nécessité d’assurer le fonctionnement financier des établissements.

Les premières pierres d’une organisation centralisée de la recherche agronomique sont posées mais il faudra tout de même encore attendre les années 1920 pour voir la création d’un véritable institut capable d’administrer l’ensemble du réseau des stations agronomiques et d’établir des programmes de recherche cohérents et centraux. On imagine donc qu'en l'absence de cohérence et d'administration stable, il était complexe de mettre en place un état d'esprit et une philosophie unificatrice. La réflexion sur certaines questions éthiques était dominée par le besoin de structures fortes et centralisatrices, laissant libre cours à l'essor de certaines pratiques aujourd'hui remises en cause.

Le manque de centralisation de la recherche agronomique, s'il est préjudiciable à son essor, semble également avoir été un frein aux questions d'écologie agricole. Il n'y a pas de discours officiels à ce propos. Chacun expérimente à sa manière. Cependant, d'un autre côté, l'absence d'institutions centrales évite la généralisation de pratiques agricoles dangereuses ou pouvant mettre en péril un certain équilibre naturel, social et économique. Au XIXème siècle, la recherche agronomique et les sciences agricoles ne demeurent pas encore assez développées pour que le problème de leurs effets sur l'environnement soit posé. L'avenir se chargera de rappeler aux scientifiques que certaines questions ne peuvent être éludées.

1 Paul Fénelon, Dictionnaire d’histoire et de géographie agraires, Paris, Conseil international de la langue française, 1991, 2ème édition revue et augmentée, 801 pages. (Définition d’agronomie).

2 Nathalie Jas, Au carrefour de la chimie et de l’agriculture, les sciences agronomiques en France et en Allemagne, 1850-1914, Paris, Collection « Histoire des sciences, des techniques et de la médecine », Éditions des archives contemporaines, 2001, 433 pages, p. 33.

3 Ibid, p. 41.

4 Ibid, p. 54.

5 Ibid, p. 55.

6 Gilles Denis, Recueil de données pour l’histoire de l’INRA, 243 pages, p. 4.

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