(Article) L'exploitation du sol en Beaujolais au XIXème siècle - Les contrats de travail

Publié le par Stéphane Guillard

(Article) L'exploitation du sol en Beaujolais au XIXème siècle - Les contrats de travail

Avec le développement industriel et l’essor des villes, la petite paysannerie commence à se scinder en deux catégories sociales très diverses. On voit se former d’un côté une sorte de prolétariat agricole et, de l’autre côté, une petite exploitation familiale agricole. Cette différentiation qui s’établit est à la base d’un changement radical dans la façon de cultiver le sol. « Entre1862 et 1882, le nombre de journaliers diminue au rythme de 1,5 % par an. Ce taux atteint 2 % entre 1882 et 1892 »1. Ces travailleurs agricoles qui louent leur force de travail à la journée constituent une part importante de ce que l’on peut appeler le semi prolétariat agricole. En effet, ils ne peuvent pas entrevoir l’accès à la propriété avec leurs maigres revenus et la lente agonie de l’industrie rurale les pousse inexorablement à disparaître. De plus, la mise en culture accentuée de nouvelles terres réduit considérablement leur implication dans le monde agricole français. Ces journaliers qui trouvaient une part importante de leurs revenus dans l’utilisation des droits d’usage collectif du sol, se retrouvent dangereusement menacés par la disparition progressive des jachères.

Cependant, le salariat agricole demeure toujours en France. Il tend alors à se diversifier et à étendre ses zones d’influence et ses compétences. Ainsi, le journalier et les autres types de salariés agricoles trouvent à s’employer dans les grandes et moyennes propriétés. On n’hésite plus à migrer pour aller chercher le travail là où il est. Dans ce cas là, il s’agit bien souvent de migrations temporaires effectuées au moment des grands travaux agricoles : les moissons, les vendanges… Si ces formes d’exode sont dans un premier temps individuelles, elles deviennent au fur et à mesure collectives et organisées.

En Beaujolais, la troupe est l’équipe de vendanges : une vingtaine de personnes originaires de la même commune […]. On comprend aisément que dans le Beaujolais, où la demande en main d’œuvre est abondante sur une courte durée, les migrations saisonnières soient si importantes2. Ces migrations ne s’effectuent pas seulement pendant la période des vendanges. Au cours du siècle, elle tend à se développer pour les travaux hivernaux de la vigne, laissant s’installer progressivement une forme de salariat agricole. A partir de 1850, une nouvelle ère de prospérité du vignoble s’ouvre. On plante toujours plus de vignes, les récoltes sont abondantes et les travaux d’entretien se généralisent. Cet essor spontané du vignoble beaujolais nécessite cependant un afflux de main d’œuvre extérieure que l’accroissement de la population ne saurait résorber. C’est ainsi qu’une part importante de propriétaires fait la part belle au salariat agricole. Ils trouvent là une main d’œuvre abondante, rentable et relativement docile.

De plus, comme nous l’avons signalé auparavant, cette seconde partie du XIXe siècle est propice aux investissements citadins dans le vignoble. Or, ces nouvelles couches de la bourgeoisie, cherchant rentabilité et profits maximums, vont s’attacher à développer de plus en plus ce salariat agricole. Cette tendance est surtout vérifiable dans le Bas-Beaujolais, mais l’aventure du salariat viticole tente également bon nombre de propriétaires du Haut-Beaujolais et du canton de Beaujeu. Une certaine forme de capitalisme agraire est en train de naître à cette période en France, et les régions de vignoble ne semblent pas y échapper.

Évoquons maintenant le cas du métayage, contrat d’exploitation du sol principalement utilisé dans le Beaujolais et plus particulièrement dans le canton de Beaujeu. Nous nous proposerons dans un premier temps de définir ce qu’est le métayage, appelé plus volontiers dans le Beaujolais vigneronnage.

Si, comme nous venons de l’évoquer, le Beaujolais est de plus en plus en proie à l’apparition du salariat agricole à partir de la seconde moitié du XIXe siècle, cette région viticole s’appuie principalement sur des contrats de métayage. Ce mode d’exploitation du sol est un héritage ancien puisqu’il est connu depuis le Moyen Age. Cette forme particulière de métayage détient ses contours juridiques depuis le XVIIIe siècle. Ce contrat repose sur un principe simple de partage de la récolte entre le propriétaire foncier et l’exploitant de la terre. Ainsi, le propriétaire foncier apporte la terre et tous les éléments nécessaires à son exploitation et à son entretien : bâtiments d’habitation, matériel pour la mise en culture et la vinification et le cheptel. Il paie également l’impôt foncier. En contrepartie, le vigneron s’applique à cultiver avec le plus grand soin le domaine dont il est chargé. Il doit également assumer les frais de la culture et de la récolte.

Le statut du vigneron beaujolais est un cas bien à part. Il ne s’apparente pas vraiment à un salarié agricole, bien que du point de vue juridique on le reconnaisse comme tel, et n’est pas tout à fait un locataire. Le principe de culture à moitié fruits est le fondement de la réussite du vigneronnage beaujolais. « Il n’est pas question de subordination mais plutôt d’une complémentarité dans l’intérêt de chacun »3. Cette interdépendance joue pendant longtemps en défaveur du vigneron qui faute de moyens ou de terres à acheter, ne peut accéder à la propriété foncière. Le propriétaire, souvent absentéiste, laisse le champ libre à son vigneron dans l’exploitation du domaine. Malgré la stabilité des contrats de vigneronnage et l’assurance d’une pérennité pour la descendance des vignerons, le propriétaire demeure le seul décideur. Ainsi, les baux de vigneronnage ont une durée annuelle et se renouvellent par tacite reconduction.

Cette façon d’exploiter le sol masque en réalité les inégalités de l’époque. En offrant la mise en culture d’une exploitation de trois à cinq hectares, dont la vigne doit être la culture principale, le propriétaire foncier s’attire la bienveillance des petits cultivateurs. Il leur permet de subvenir à la plupart de leurs besoins : un apport de numéraire, une consommation en vin pour l’année, quelques têtes de bétail… Cependant, tout ceci cache la volonté paternaliste du grand propriétaire du Haut-Beaujolais. La dépendance économique du vigneron est réelle. Il doit bien souvent employer toute sa famille aux soins de la vigne et de l’exploitation, et parfois même, se résoudre à louer les services de sa femme en tant que domestique. Même s’il ne faut pas noircir le tableau outrageusement, force est de constater que le propriétaire foncier demeure le maître incontesté de l’exploitation et l’association faite avec le vigneron dépend en grande partie de sa volonté. La dualité qui le lie au vigneron n’est pas totale puisque bon nombre de grands propriétaires du canton de Beaujeu sont des notables. Les bons rapports qu’ils peuvent entretenir avec leurs vignerons jouent également en leur faveur dans la productivité du domaine ou bien encore dans les suffrages.

1 BLANC Michel, Les paysanneries françaises, Paris, Editions Jean-Pierre Delarge, 1977, p. 20
2 CHATELAIN Abel, Les migrants temporaires en France de 1800 à 1914, Villeneuve d’Ascq, PUL, 1976.
3 MYARD François, Le vigneronnage en Beaujolais, Lyon, Imprimeries Réunies, 1907.
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