(Article) La Libération et le triomphe des sciences

Publié le par Stéphane Guillard

La Seconde Guerre mondiale aura été le théâtre d’un formidable déploiement de technologies, d’innovations techniques en tous genres et d’interventions de la science dans la société dont le point d’orgue est évidemment l’explosion de la bombe atomique américaine au Japon en août 1945.

La fascination exercée par la science dans les années qui suivent la fin de la Seconde Guerre mondiale ne fait que renforcer son rôle et son influence au point d’être placée au centre des préoccupations de l’Etat. Les progrès de la science semblent être une des clés du développement et de la modernisation.

Dans un monde post Seconde Guerre mondiale où les applications directes de la science au niveau militaire ont permis d’entrevoir l’écart entres les nations alliées et la France, il est certainement important de se demander si la puissance militaire a joué un rôle dans l’effort fait par l’Etat en faveur de la science dès 1946. Le rôle de la guerre dans la progression de la science en France à la suite du conflit n’est certainement pas anodin. D’une part, la ruine économique et matérielle du pays nécessitait une participation active de la science pour permettre aux forces de production de se remettre en marche, mais elle pouvait également être une branche nouvelle de l’excellence française et de l’essor économique national. D’autre part, la faiblesse militaire de la France au cours du conflit et l’impact certain de la défaite de 1940 sur la fierté et le patriotisme français n’ont pu qu’accentuer une prise de conscience politique et légitimer un recours massif à la recherche scientifique. Nul doute que l’orgueil national et le sentiment très conceptuel de « l’exception française » ont alors permis à la science d’entrer profondément parmi les préoccupations des hommes politiques français.

C’est au cœur de ce contexte à la fois réjouissant de sortie de guerre et difficile de reconstruction du pays que l’émulation et l’engouement scientifique se bâtissent.

L'explosion de la bombe atomique à Hiroshima est le point d'orgue du triomphe des sciences dans les années 1940

L'explosion de la bombe atomique à Hiroshima est le point d'orgue du triomphe des sciences dans les années 1940

Un contexte favorable aux sciences

Au cours de la guerre, déjà, les Français s’étaient rendus compte de l’importance de la science dans la puissance économique et militaire de l’Allemagne puis des Etats-Unis. Après 1945, les multiples collaborations outre-Atlantique qu’effectuaient les chercheurs français ne firent qu’amplifier la prise de conscience. Avant l’avènement de la Vème République une partie des savants, fonctionnaires et hommes politiques français étaient déjà convaincus de la nécessité de solidifier et d’amplifier l’importance de la recherche scientifique dans l’appareil économique et industriel. Cet essor provoqué par le pouvoir politique sous diverses formes s’avérait nécessaire et s’inscrivait parfaitement dans la logique même de la science.

Au lendemain de l’armistice, et même durant les années de guerre, le ravitaillement de la population est un problème qui perdure et les insuffisances de l’agriculture française se révèlent encore plus grandes. Au-delà des problèmes spécifiques comme celui du ravitaillement, il convient de reconstruire un pays ruiné par cinq années d’occupation ennemie et par une guerre destructrice.

Dès la fin de la guerre et le début des années 1950, l’opinion générale prend de plus en plus conscience de l’importance de la révolution « scientifico-technique » qui se joue dans le monde moderne. Les formes anciennes de l’organisation de la recherche-développement, le manque d’aide à la recherche scientifique et le gouffre séparant recherche scientifique et application technique devaient conduire l’Etat à intervenir massivement dans les problèmes de la science française. C’est le général de Gaulle qui, le premier, décide de la création des principaux organismes de recherche scientifique que sont le CEA et le CNRS, par exemple. Un engouement particulier se fait alors jour en direction des sciences et de ce que l’on pourrait appeler un « reconquête scientifique ». Jean Cranney, dans son ouvrage consacré au cinquantième anniversaire de l’INRA, développe d’ailleurs un chapitre sur la question : « l’esprit de réforme qui s’empare de la science française en 1945 est la résultante de deux courants qui convergent : l’énergie des fonctionnaires dans les administrations centrales et l’élan des milieux scientifiques eux-mêmes »1.

La période d’effervescence scientifique qui s’ouvre après la Libération est non seulement salvatrice pour la reconstruction du pays mais aussi un solide point d’ancrage de la légitimité du nouveau pouvoir politique. En effet, si la recherche scientifique est, dans les années d’après-guerre, une composante essentielle de la modernisation de la société et, la restructuration de l’Etat français un enjeu primordial, on admet aisément que les premières années de la IVème République soient une période où le politique s’immisce pleinement dans l’organisation de la recherche. Par la même occasion, la science devant concourir au rétablissement d’une économie forte et s’affirmant comme une institution sociale majeure, l’Etat se doit d’en assurer l’organisation et d’en contrôler, dans une certaine mesure, le fonctionnement. Avec l’affirmation d’une recherche publique dirigée et organisée par l’Etat, la sphère politique s’assure les bénéfices d’une reconstruction qui se veut rapide, efficace et moderne.

Les mesures politiques mises en place visent alors toutes une rationalisation de l’effort de la recherche scientifique. Dans une perspective générale de rehaussement du niveau de vie général, le pouvoir gouvernemental s’attache le concours des sciences pour assurer la reconstruction et entrer dans une nouvelle ère de prospère modernité.

1 Jean Cranney, INRA, 50 ans d'un organisme de recherche, Institut National de la Recherche Agronomique, 1996, 526 pages, p. 71.
Le Docteur Comandon dans un laboratoire de microscopie du CNRS en septembre 1940

Le Docteur Comandon dans un laboratoire de microscopie du CNRS en septembre 1940

L'organisation de la recherche française

Comme nous venons de le voir précédemment, l’Etat prend rapidement la main en ce qui concerne le dossier de la recherche scientifique. Si les principes d’une recherche massivement publique font presque exclusivement l’unanimité, il reste encore à savoir comment administrer et organiser ces recherches, ce qui n’est pas chose aisée. La refonte, en 1945, du CNRS illustre cette volonté de réorganiser la recherche française dans son ensemble.

La mise en place institutionnelle d’une politique de recherche publique a pu trouver une place de premier choix dans la société des années 1950 à partir du moment où elle devenait un enjeu politique et social majeur. Le long cheminement de la construction d’un modèle public structuré de la recherche, qui s’est opéré depuis les débuts de la marche en avant scientifique au milieu du XIXème siècle, a pu voir le jour au lendemain de la Seconde Guerre mondiale à partir du moment où la parole politique et la parole scientifique se sont accordées. Il fallait créer les conditions nécessaires à cette émancipation de la recherche en développant un discours commun, en créant les institutions de recherche, en invoquant les intérêts de la recherche et en construisant une réflexion politique et scientifique sur la construction d’un modèle organisé de la recherche dans son ensemble1.

Si le CNRS et l’Université tiennent toujours le haut du pavé en matière de recherche scientifique, une multitude d’organismes spécifiques sont créés pour les délester d’une lourde tâche pas toujours simple à mener à bien. Nous ne rappellerons pas ici l’ensemble des organismes qui furent créés à la Libération et dans les années qui suivirent immédiatement la fin de la Seconde Guerre mondiale mais nous mentionnerons qu’ils ont tous participé, à leur manière, à l’établissement d’une véritable politique d’organisation administrative de la recherche scientifique française. Bien que cette organisation n’ait pas encore trouvé, à la veille des années 1950, toute sa plénitude, force est de constater qu’une première étape a été franchie dans la mise en perspective de l’autonomie de la recherche, dans son organisation et dans les collaborations entre les diverses disciplines.

Sans vouloir trop nous éloigner de notre cadre chronologique, il convient néanmoins de rappeler que les efforts d’organisation se poursuivent dans les années 1950, période durant laquelle une véritable politique de la recherche scientifique est mise en place par les hommes politiques français. En 1954, est créé un Conseil supérieur de la recherche scientifique et du progrès technique dont l’interdisciplinarité tranche avec l’archaïque cloisonnement du passé. Puis, deux ans plus tard, la tenue à Caen d’un colloque national sur la recherche et l’enseignement scientifiques est le point de départ d’un investissement politique sans précédent dans la recherche scientifique et l’expansion de celle-ci. De ce colloque, il est notamment ressortit que l’essor de la recherche agronomique était une des mesures principales.

La fin de la Seconde Guerre mondiale demeure donc une période d'intense émulation scientifique, de réorganisation voire même de refonte de certains services de recherche. Dans un contexte de gigantesques progrès techniques, industriels et scientifiques, la recherche agronomique française se restructure et se modernise pour entrer dans la modernité.

1 Alain Chatriot (dir.) et Vincent Duclert (dir.), Le gouvernement de la recherche, histoire d’un engagement politique, de Pierre Mendès-France au général de Gaulle (1953-1969), Paris, La Découverte, 2006, 428 pages.
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