(Article) L'histoire du "Beaujolais nouveau"

Publié le

(Article) L'histoire du "Beaujolais nouveau"

Le « Beaujolais nouveau » est connu du monde entier. Ce vin primeur, dégusté seulement deux mois après la récolte du raisin, a construit sa renommée au cours des dernières années mais son existence est pourtant beaucoup plus ancienne.

Le primeur : un « Beaujolais nouveau » sans le nom

Au XIXème siècle, la tradition ancestrale du Moyen-Orient perdure. On consomme les vins relativement jeunes puisque leur conservation est encore loin d'être parfaite. Chez les Grecs de l'Antiquité, on fêtait le vin nouveau au début de l'année lors de grandes manifestations, symboles du renouveau de la nature. Les Romains, eux, produisaient des vins précoces, avec des raisins souvent verts, qu'ils destinaient aux travailleurs pour les vendanges. Jusqu'à l'apparition de la tonnellerie moderne, de l'industrie du verre, de la conservation du vin en tonneaux et en bouteilles en verre vers la fin du XVIIème siècle, on continue à consommer le vin relativement jeune. Le « Beaujolais nouveau » trouve donc une partie de ses origines dans des traditions ancestrales liées aux contraintes de la nature mais également à la célébration d'un certain renouveau.

Pendant de longs siècles, le vignoble du Beaujolais peine à trouver sa place et son importance est toute relative. Ce n'est qu'aux XVIIème et XVIIIème siècle que les surfaces plantées en vignes et la renommée du vignoble prennent une toute autre envergure. Les capitaux des nobles, des notables, des soyeux lyonnais et des hommes de lois viennent donner l'impulsion à la viticulture locale tandis que les bras des nombreux travailleurs du sol s'activent pour réaliser les ambitions des premiers. Ces métayers, ou vignerons, employés par les riches propriétaires selon des contrats de vigneronnage, souvent encore en vigueur aujourd'hui, participent, de manière invisible ou presque dans les archives, à l'émancipation du Beaujolais viticole. On commence à vendre les vins du Beaujolais à Lyon et jusqu'à Paris mais le transport est long et coûteux. Ce n'est qu'au siècle suivant, avec la diminution des octrois douaniers, que les vins du Beaujolais trouvent des débouchés importants dans la capitale.

Au XIXème siècle, la consommation de vin est en constante augmentation en France. Elle prend de l'ampleur notamment dans les villes et les milieux urbains où les populations aisées comme les masses populaires consomment de plus en plus de vin. A cette époque, quelques débitants, négociants et autres commissionnaires, achètent la production vinicole dès qu'elle est disponible, « sous le pressoir » comme on avait coutume de dire. Ils enlèvent instantanément le précieux nectar et fournissent dès le semaines suivantes les distributeurs, les cafetiers, les aubergistes et autres cabaretiers de Paris et de Lyon, désormais lieux privilégiés d'écoulement de la production vinicole en provenance du Beaujolais. Très souvent, la fermentation des vins se poursuit et se termine dans les tonneaux au cours du transport. Cette particularité est dictée par une demande en augmentation et par le fait que cela protège efficacement le breuvage des altérations.

Le XXème siècle : vers une nouvelle ère de modernité

Au début du XXème siècle, l'agriculture française éprouve un besoin de reconnaissance et demande à l'administration de délimiter les zones dont les productions agricoles peuvent bénéficier d'une appellation rappelant l'origine. Une loi est votée le 1er août 1905 à ce sujet mais aucune charte de qualité n'est prévue dans le texte législatif. Les problèmes de surproduction viticole de l'époque ne sont pas réglés. En 1919, une nouvelle loi délimite des zones d'appellation contrôlée définies cette fois par les tribunaux administratifs. L'ensemble de la filière viticole passe devant les tribunaux : les procédures sont longues, complexes et hasardeuses. C'est un nouvel échec. Toutes ces turpitudes touchent particulièrement le Beaujolais, dont le vignoble ne jouit pas encore d'une reconnaissance et d'une unité parfaites.

Le 30 juillet 1935, un décret-loi crée l'INAO (Institut National des Appellations d'Origine). Sous cette entité sont rassemblées des compétences professionnelles, judiciaires et administratives. La filière viticole vient de trouver enfin un organe capable de la représenter, de la défendre et de la promouvoir. Le décret-loi de 1935 protège non seulement le nom des produits, ses caractéristiques et son implantation géographique délimitée.

A l'époque, le Beaujolais est souvent confondu avec les vins de Bourgogne et il est même inclus dans la Bourgogne par la délimitation géographique du décret-loi de 1935. Les producteurs du Beaujolais, non contents d'avoir obtenu la reconnaissance des particularités de leurs terroirs, poursuivent leurs efforts pour faire reconnaître le Beaujolais comme un vignoble à part entière et indépendant. A partir de 1932 déjà, le Comité de propagande des vins du Beaujolais a son propre stand au concours général agricole. Ainsi, dès 1937, le Beaujolais fait partie de la première vague des AOC (Appellation d'Origine Contrôlée). Une première victoire pour l'ensemble des producteurs viticoles du Beaujolais mais les combats sont encore nombreux. Le Beaujolais peut aussi compter sur toute une armée de défenseurs pour faire sa promotion, notamment dans les milieux parisiens : Colette et Marcel Achard, écrivains, Maurice Maréchal, fondateur du Canard enchaîné et bien d'autres. Après la Seconde Guerre mondiale, le Beaujolais connaît une expansion sans précédents. L'effervescence demeure totale et, la prospérité économique retrouvée, une formidable période d'essor s'ouvre.

L'après-guerre ou les joies du (re) nouveau

Depuis toujours, les méthodes de vinifications beaujolaises permettaient d'obtenir des vins consommables rapidement après les récoltes. Pendant l'Occupation, la pénurie a durement sévit et de nombreuses restrictions sont venues entraver la commercialisation des vins AOC. On échelonnait les dates de sorties des vins du Beaujolais. En 1945, l'Union viticole beaujolaise demande, avec l'appui du député du Rhône Jean Laborde, de pouvoir commercialiser en primeur, c'est-à-dire avant les dates officiellement prévues pour la sortie des vins. Six ans plus tard, ils obtiennent satisfaction.

Le 11 mars 1951, on supprime le « principe d'échelonnement de sortie des vins des propriétés » qui dressait un calendrier très précis de sorties des vins dans le commerce et devait planifier efficacement le réapprovisionnement des armées. Le 8 septembre de la même année, un arrêté est publié au Journal Officiel. Il stipule que les vins d'appellation d'origine pourront désormais être vendus à partir du 15 décembre : le Beaujolais, les Côtes-du-Rhône, la Mâcon blanc, le Bourgogne blanc et rouge grand-ordinaire, le muscadet et le gaillac. Les vignerons du Beaujolais qui ont œuvré à cette nouvelle réglementation ne sont pourtant pas entièrement satisfaits. Ils demandent à pouvoir commercialiser leurs vins dès le 13 novembre 1951, notamment afin de se démarquer des autres régions. L'expression « Beaujolais nouveau » fait alors son apparition.

Les années 1950 sont encore une phase d'apprentissage, de transition vers une viticulture plus moderne et d'hésitation concernant la commercialisation du « Beaujolais nouveau ». En 1960, on ne produit que 1 000 hectolitres de « Beaujolais nouveau ». Les négociants de l'époque sont sceptiques. Jean Tixier, un caladois publicitaire chez Havas vante les mérites du produit. Georges Duboeuf qui a fondé sa maison de négoce viticole en 1964 y croit lui aussi. Au même moment, un courtier chez Nicolas, Pierre Boisset, en fait la promotion auprès de son employeur. Ces trois hommes et bien d'autres deviennent les fers de lance de la nouvelle vitrine du Beaujolais. Au cours des années 1960, la sortie du « Beaujolais nouveau » commence à s'ancrer dans le calendrier viticole. Les producteurs, les négociants et l'ensemble de la profession y trouvent leurs comptes : ce vin assure des rentrées d'argent précoces et de plus en plus massives.

Des années 1970 à nos jours : entre mondialisation et nouvelles approches

Jusqu'en 1966, la date de commercialisation du « Beaujolais nouveau » est variable. En 1967, et jusqu'en 1984, un décret fixe au 15 novembre la commercialisation de ce vin. A l'origine, l'INAO décidait de la date de sortie. Puis, afin d'ancrer l'évènement et d'assurer sa promotion, on décide d'une date fixe, dégagée de toutes contraintes. Il fallait parfois faire face à des vendanges tardives qui rendaient la date du 15 novembre peu commode, comme en 1977 où la sortie du « Beaujolais nouveau » fût repoussée au 22 novembre. Ces mêmes années 1970 sont le début d'une nouvelle ère pour le « Beaujolais nouveau ». On produit 100 000 hectolitres de « Beaujolais nouveau » en 1970. Tout s'accélère et l'évènement est relayé par une foule de journalistes, d'intellectuels, de professionnels ou de curieux. René Fallet écrit en 1975 Le Beaujolais nouveau est arrivé, ouvrage qui connaît un succès médiatique d'envergure porté par Stéphane Collaro, ami de Georges Duboeuf, ou encore Bernard Pivot, lui-même originaire de Quincié-en-Beaujolais. L'année 1975 marque le début d'une communication massive autour du « Beaujolais nouveau ». Edgar Faure, président de l'Assemblée nationale, accueille la télévision au Palais Bourbon pour inaugurer le lancement. Mireille Mathieu et Georges Brassens sont les parrains de ce même millésime. La commercialisation du « Beaujolais nouveau » devient mondiale et attire des touristes du monde entier. La Chine, les Etats-Unis, le Japon et bien d'autres pays du monde attendent sa sortie avec impatience. En 1985, on décide de donner encore plus d'importance à l'évènement en fixant une date flottante pour éviter que le « Beaujolais nouveau » ne sorte pendant un week-end. Ce sera le troisième jeudi du mois de novembre.

Pourtant, malgré tous ces succès, aucun événement particulier ne marquait le lancement du « Beaujolais nouveau ». En 1989, la commune de Beaujeu, capitale historique du Beaujolais, répare cette injustice et crée les « Sarmentelles » qui lancent officiellement la commercialisation du vin primeur du Beaujolais. Dès le troisième mercredi de novembre, la petite ville se remplit de touristes et l'effervescence est à son paroxysme. Dégustation des crus du Beaujolais, intronisations de nouveaux Compagnons du Beaujolais, célèbre confrérie bacchique, défilés aux flambeaux, mise en perce à minuit...tout est fait pour assurer la promotion du « Beaujolais nouveau » et rien n'est laissé au hasard.

Dans les années 1990, le succès se poursuit et, en 1998, la moitié de la production viticole du Beaujolais est destinée à devenir du « Beaujolais nouveau ». Elle représente 1 400 000 hectolitres dont 800 000 sont exportés. Petit à petit, l'euphorie retombe et les viticulteurs amorcent un virage radical. Les goûts et les exigences des consommateurs ont changé, le contexte économique aussi. Une démarche de plus-value ajoutée au produit viticole est désormais plus présente. Vinification traditionnelle, culture raisonnée et production biologique sont à l'ordre du jour, réduisant singulièrement les volumes de « Beaujolais nouveau ». En 2007, on ne produit plus que 360 000 hectolitres de vin primeur mais les succès économiques d'antan et la massification de la consommation de vin liée au primeur ont assuré la renommée et le futur du « Beaujolais nouveau » dans le monde entier, attirant de nouveaux pays tels que la Corée du Sud ou la Russie.

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article